La Part de l'Autre, Eric Emmanuel Schmitt
(19h56)
La Part de l'Autre interpelle. Emeut, trouble mais nous en sortons
tous, nous autres lecteurs, étrangement changés. Je me suis étonné de ressentir une certaine empathie pour ce personnage. Comment un être, tel que celui-ci, pourrait faire ressortir en moi un quelconque sentiment? Certes, Eric Emmanuel Schmitt a romancé sa vie, l'a rendu sympathique (du moins Adolf H.) mais il s'agit d'Hitler!
L'auteur met, de plus, en avant cette notion de la part de l'autre, l'idée que toute existence dépend de la réaction d'autrui., ainsi il nous est difficile de juger (sans l'excuser). Tout un chacun peut être concerné. Ainsi Bruno Corty considère que cette oeuvre amène le lecteur à "se poser des questions, pas toujours évidentes, sur la part des ténèbres qui sommeillent en lui". J'admets la part de l'autre dans la constitution de mon destin. Cette idée de part qui est répétitive tout au long du roman, le terme revient sans cesse.
Je ne pense pas que l'on puisse dire si l'on a aimé ou non cette lecture, je ne crois pas qu'il ait été écrit dans ce sens. Il ne peut de toute manière que retirer le lecteur dans son plus profond retranchement. Il nous secoue de toute évidence.
Cett hypothétique "si"... la face du monde aurait-elle été différente? Cet homme intéressé seulement par ses pensées, par lui-même, cet égocentrique qui s'isolait, se plaçant bien au-dessus du commun des mortels (seul au-dessus de tous, le front toujours dans les nuages). Eric Emmanuel Schmitt va alors distinguer la vie de cet être qui par un simple refus d'entrée à l'école des Beaux Arts, changera le cours de Notre histoire.
Ce livre ne juge en aucun cas, il montre même les faiblesses d'Adolf. Il le présente sous un aspect humain. Sa plus grande douleur vient de ce qu'il ne sait plus quoi penser de lui-même. Jusqu'ici il n'avait jamais douté de lui. Des oppositions, des scènes, il en avait connu. Des insultes, des remarques acerbes, il en avait reçu. Mais rien n'avait jamais ébranlé sa confiance.
Schmitt le présente tel qu'il l'imagine, avec ses failles (la violence d'un père, petit fonctionnaire obtus, violent et raisonneur). Il peint un personnage qui pourrait être tout un chacun, ayant eu un début de vie pour le moins difficile. Ce refus signifie la fin d'un rêve, il est désormais ancré dans la réalité et ne dispose que de peu de moyens pour sortir la tête du trou. Il s'imaginait différent, il se voit alors tel qu'il apparaît aux yeux de tous. Tout d'un coup, il venait de s'apercevoir de l'extérieur, comme un personnage de roman: il est orphelin de père depuis des années, de mère depuis l'hiver dernier, il n'a plus que cent couronnes en poche, trois chemises et une édition complète de Nietzsche dans sa valise, la pauvredté s'annonce avec le froid, on vient de lui refuser le droit d'apprendre un .Qu'a -t- il pour lui? Rien. (...) Hitler se voit tel qu'il est et il se fait pitié.
Il le place ainsi à notre hauteur, parmi les mortels. Hitler est persuadé tout au long de son parcours qu'il a une destinée. Ainsi, il court acheter un billet de loterie alors même qu'il vient d'échouer, convaincu qu'un autre chemin s'offre à lui. Tout a une explication à ses yeux, la sienne est écrite dans les étoiles, sa mère chérie veille sur lui. Il se remémore d'ailleurs la parole que lui murmurait les lèvres adorées de sa mère : Celui qui a la foi dans son coeur possède la plus grande force du monde.
Hitler aurait pu sombrer, néanmoins, de nombreux événements vont permettre au dictateur de persévérer dans cette foi en sa destinée, "il est le tambour de l'Allemagne". EES va alors essayer d'expliquer ce qui dans son parcours aurait pu lui faire acquérir une telle confiance (Peu d'individus auraient gardé la tête haute, pourtant Hitler a fait de ses souffrances sa force). L'amour de sa mère est la réponse. Hitler avait continué à se considérer avec les yeux mêmes de sa mère, des yeux remplis d'adoration et de rêves merveilleux. Il s'aimait, il se voyait pur, idéaliste, artiste, exceptionnel, constamment placé sous la lumière éblouissante de sa bonne étoile. En un mot : supérieure.
Le livre le décrit comme un être cultivé, qui s'octroyait des instants de détente afin de s'adonner à son loisir favori : la lecture. Même avec peu de sous en poche, il ne résiste pas à l'idée d'assister à un opéra. Hitler n'écoutait pas cette musique, il l'aspirait, la buvait, il s'y baignait. Les flots harmonieux des cordes et des bois le submergeaient par vagues successives, il s'y roulait, il s'y perdait.
Je ne m'attarderai pas au personnage d'Adolf H., puisque celui-ci n'est que pure fiction et qu'il m'est difficile (hormis le fait avancé précédemment) de concevoir qu'Hitler aurait pu être différent, simplement s'il avait suivi une autre voie, celle d'un artiste. Je ne pense pas qu'on acquiert une telle haine vis-à vis d'autrui subitement. Il est vrai qu'il a dû survivre à la perte de ses parents. Seulement, la part de la bête n'attendait qu'à être éveillée, selon moi.
L'auteur s'interroge également sur son talent d'orateur. Comment un être si peu apprécié, sans charme apparent avait-il pu rasembler autour de lui autant de monde? Lui qui dans sa jeunesse avait vécu dans une ahurissante solitude, lui qui pour protéger ses malaises et ses secrets,(...) s'était isolé pendant des années, qui avait construit une tour, coupée de voies d'accès d'où il dominait tout, une tour d'où il se taisait, une tour où personne ne le rejoignait. Inimaginable et pourtant la guerre a transformé cet homme solitaire et humilié en bête. Une bête avide de sang, pour qui le bonheur se fortifie du malheur d'autrui. Il a aimé la guerre, il a aimé ce sentiment d'être indispensable à sa nation,d'être nécessaire, d'ailleurs ses supérieurs frémissent à l'idée qu'un jour il ne soit commandant, tant il est vil. Il avait déserté et ne souhaitait pas s'engager et pourtant elle va le révéler à lui même. Jamais auparavant, il avait ressenti cette puissance, cette force, cette volonté. Il se sent grand. Il est immense. Il court. Il est devenu un guerrier. Il charge, il ne craint rien. Il n'a pas peur de la mort, il va la donner. Il est le guerrier absolu. (...) La vie est intense, plus intense qu'elle ne le fut jamais. Avant, il n'a connu qu'un insipide néant. Maintenant, il existe. Il surexiste. (...) La bête s'est réveillée en lui. (...) Oui, en lui, l'homme meurt. La bête le remplace. Il en vient même à remercier le Créateur de cette joie si soudaine, si intense : Je n'ai jamais été aussi heureux. J'existe enfin. Merci, mon Dieu, de m'avoir fait connaître la guerre. Il se sent désormais utile, il a une raison de vivre. Il doit sortir sa nation du chaos. Il est celui qui soulagera l'Allemagne de cette défaite cuisante. La guerre lui a montré les fautifs, ceux qu'il doit combattre et guidera par la suite son pays. Pour la plupart des soldats,les horreurs de la guerre les traumatisent à jamais, Ils ne reviennent indemnes que physiquement pour certains mais l'intellect ne peut être que choqué. Pour Hitler, il en va différemment : Hitler aimait la guerre parce qu'elle l'avait soulagé de tous ses problèmes. (...) Elle lui avait procuré une raison de vivre, et même une raison de mourir. (...) La première nuit dans les tranchées, il avait eu une révélation. Il avait découvert que la guerre est l'essence même de l'existence.
Je conclurai avec l'explication évidente d'Eric Emmanuel Schmitt sur les raisons de cette ferveur autour d'Hitler : les gens l'idlâtraient parce qu'il s'exprimait avec le coeur, mais ils n'avaient pas repéré qu'il s'agissait seulement de la face noire du coeur. Seul Adolf H. possède ce trait dans le roman, il est l'artiste celui pour qui les sentiments priment. Ainsi, l'auteur mettra en parrallèle l'histoire d'amour d'Adolf H. avec Onze heures trente et celle d'Hitler, selon lui, pour la survie, le salut de sa nation. Alors que l'un s'abandonne à l'amour, l'autre n'est que colère et destruction. La haine lui avait donné le don de l'éloquence.
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En ce qui concerne les liens vers l'oeuvre, une fois n'est pas coutume je renverrai au documentaire Apocalypse.
La Belle Endormie, Van Hove